vecteurs de rêves
Objets d'art
Donner corps à des rêves étranges
Collections
Dynamique des fluides
S’envoler, décoller, s’arracher à la gravité et défier la pesanteur. Un miracle récurrent qui permet aux oiseaux de s’échapper à tire-d’aile, un instant fugace et fragile au cours duquel tout reste possible, l’ascension comme la chute. Les ailes mécaniques luttent dans une danse éternelle, à la recherche de l’équilibre aérodynamique parfait pour s’émanciper de leur condition terrestre, et nous, observateurs contemplatifs, attendons qu’après chaque dérapage revienne l’espoir d’un succès.
projet
En janvier 2024, Anne Kalonji, artisane d’art plumassière en Haute Normandie m’a proposé de participer à la biennale organisée par l’association Oksébô au Château de la Roche-Guyon dont le thème était « Dérapages ». Tout de suite enthousiasmée par le thème et la perspective de collaboration avec une plumassière, j’ai proposé que nous travaillions sur un envol qui se passe mal, mis en scène grâce à un mécanisme qui illustrerait dans un mouvement infini une tentative vouée à l’échec, au ratage, au dérapage.
Pour parvenir à réaliser ce projet un peu fou et très exaltant, il fallait en plus d’une plumassière spécialiste des volatiles, un ingénieur disposé à se creuser les méninges pour donner vie au mécanisme et à ses ailes artificielles. Ingénieur que j’ai trouvé en la personne d’Henri Laville, matheux qui, à ses heures perdues, accepte de suivre sa fille dans ses délires d’envol détraqué. L’équipe était constituée, le travail pouvait commencer.
Il aura fallu huit mois de recherches, de prototypages, d’échecs, d’échanges, de bifurcations, d’ajustements pour proposer l’automate final : un grand disque d’un mètre de diamètre, habillé de lumière et d’un plissage d’organza de soie noire, formant des rayons partants du centre vers l’extérieur, torsadés et brodés de perles de jais facettées, avec en son centre une superposition de cinq et trois ailes mécaniques marquetées de plumes naturelles. Le mécanisme a été imprimé en 3D dans une matière couleur os. Il permet d’animer les bras dans un mouvement hélicoïdale, proche de l’esthétique des fractales. Ce plateau a été installé sur une colonne le perchant à deux mètres de hauteur, lui donnant une dimension totémique, entre icône à vénérer et monstre à craindre. L’ensemble de l’œuvre évoque le mouvement de l’air grâce à cette chimère orga-mécanique de l’animal et du ventilateur. Le mouvement infini des ailes devient un piège pour le regard. Le public est hypnotisé par le spectacle étrange qui se déroule sous ses yeux, mis en tension par l’apparente fragilité du mécanisme qui menace les ailes de s’entrechoquer.
Reflet d'écume
Rêve de miroir
Sans doute parce que je suis Normande et une romantique invétérée, la thématique de la mer-miroir me guide depuis mon diplôme des métiers d’art. L’idée d’une surface plus ou moins agitée, qui reflète de manière fragmentée le monde, d’un espace immense composé de morceaux de mer et de ciel que j’aimerais mettre en bouteille, glisser dans ma poche, m’invite à explorer tous ses méandres.

Le Reflet d’écume est composé d’un miroir en plexiglas recouvert d’une plaque de métal ajourée et polie-miroir. Deux éléments en acier poli-miroir et mousseline de soie grise, brodés de fil métallisé et de perles de verre, sont mis en volume grâce à un ensemble de tiges métalliques.
Sur la plaque d’acier, des éléments en dentelle à l’aiguille, fabriqués à partir de fil argenté et d’éléments de crochet perlé, sont insérés. L’utilisation du plexiglas-miroir, avec sa profondeur d’un centimètre, permet de refléter le travail textile et d’amplifier l’impression de détails tout en perturbant la perception de l’ensemble de l’objet. Sur les bords de la plaque d’acier, des longueurs de crochet sauvage perlé, teintes au pinceau, sont brodées, évoquant l’écume légère qui se forme au bord des vagues. L’esthétique globale du miroir a pour but d’évoquer l’énergie des courants marins, tout en gardant une certaine retenue, car la météo n’est pas encore à la tempête (je réserve l’ouragan pour un futur projet). La mise en volume sur trois strates est directement inspirée par l’ingénierie du papier, un de mes domaines de recherche de prédilection, notamment l’art du pop-up et la capacité à créer du volume à partir de plans.
C=300 000 km/s
Après nous la lumière
Kaléidoscope rétrofuturiste présenté lors de l’exposition des mini textiles au Musée de la tapisserie contemporaine Jean Lurçat à Angers du premier avril 2025 jusqu’en janvier 2026. Création d’après le thème « Tisser le futur »
projet
Cette pièce est inspirée par l’essai scientifique L’Univers élégant de Brian Greene, qui explique comment la vitesse de la lumière (300 000 km/s) représente la limite ultime et confère à la matière une forme d’éternité en échappant au temps. L’Univers, en perpétuelle expansion, se révèle grâce à la lumière, métaphore d’un futur qui nous dépasse. Mon kaléidoscope matérialise cette réflexion : un espace infini contenu dans un objet précieux, à la croisee de la science-fiction et de l’esprit Fabergé. Chaque face extérieure est ornée d’une marqueterie de tissage de barbes de plumes de paon mêlées à un fil vert fluo. Ce motif dépeint une étoile à cinq branches entourée d’un décor façon moucharabieh, sublimé par un travail de crochet en fil métallisé et par des toupies en cristal mauves et jaunes. Une ouverture sur une face permet d’observer l’intérieur du kaléidoscope, où chaque surface est recouverte de miroirs brodés de perles et de fils dorés, argentés et jaunes fluos. Ces miroirs forment une carte du ciel fragmentée, créant une illusion d’expansion infinie grâce aux reflets.
L’idée initiale était de créer un espace immense dans un petit objet, incarnant le concept de célérité et de lumière. Le choix du kaléidoscope s’est imposé naturellement, avec une esthétique mêlant mystère et raffinement. J’ai travaillé avec des tissages de plumes de paon, une technique que je développe depuis plusieurs années, qui crée un velours absorbant la lumière tout en conservant son irisation naturelle. Pour y ajouter une touche rétrofuturiste, j’ai intégré un fil vert fluo dans le tissage. Les fragments de tissage ont été assemblés en une marqueterie d’étoiles. Les faces intérieures ont été conçues en plexiglas miroir, préparées à l’aide de plans vectoriels pour une précision optimale. Un miroir sans tain permet d’observer l’intérieur. L’assemblage final inclut un circuit de LED soigneusement éléctrifié pour créer un effet lumineux amplifié par les miroirs. Le tout est orné de fils métallisés et de perles, renforçant l’aspect précieux et onirique de l’objet.
Le concours des mini-textiles 2024 représente une opportunité rare de travailler sous contrainte thématique, ce qui stimule l’exploration de techniques et d’idées nouvelles. Cette expérience de recherche et de création a été une chance unique de donner vie à une réflexion sur la lumière, le temps et l’infini.
Rouages d'un rêve
L'armoire, la mariée et le temps en mouvement
projet
Tant d’années après mon dernier souffle, mon armoire de mariage se tenait toujours là, imposante et silencieuse. Ses motifs de roses finement sculptées fleurissaient sur les portes, leurs pétales semblant frémir sous l’effet d’une brise intangible. Couronnant les portes en chêne, deux colombes déployaient leurs ailes avec une grâce immobile. Le long des traverses s’épanouissaient une flore splendide, des bouquets de marguerites mélangés à des épis de blé et de beaux tournesols tendant leur cœur en symétrie vers des frises de feuilles lancéolées. Je suis là, ombre insaisissable au cœur de la nuit. S’il vous arrive de tendre une oreille, vous pourriez percevoir le frottement du rouet que j’actionne du bout du pied. Au centre de son mouvement, j’y retrouve tous les espoirs placés dans la jeune mariée que je fus et je file doucement, inlassablement, mes souvenirs. Avec ce fil, je broderai l’histoire de ce destin de femme, que vous ne voyez même plus sculpté dans le bois à force d’habitude. Je vous les montrerai, ces doux espoirs, même s’ils ne seront rien de plus que de vagues fantômes. Je les déploierai aussi certainement que je les vois dans le rouet qui n’a de cesse de tourner.
Les rouages d’un rêve revisite l’héritage de l’armoire normande en transposant ses motifs dans l’univers textile. La sculpture devient broderie, la dentelle fait écho aux reliefs du bois et le meuble renaît sous la forme d’un objet mécanisé. Tout en blancs, écrus et couleurs pastel, cet éventail spectaculaire invite le visiteur à redécouvrir le travail des ornements souvent oubliés, à en percevoir la subtilité et la puissance symbolique. Comme un murmure venu du passé, il rappelle que chaque ciselure de bois porte en elle l’écho d’une vie.



